
Dans guérir, il y a rire
Il y a quelque chose de spécial dans ce moment où, au cœur d’une consultation thérapeutique sérieuse, un sourire vient éclairer le visage d’une personne qui souffre. Ce n’est pas un rire qui nie la douleur, mais plutôt celui qui la transforme, qui offre un nouveau regard sur une situation qui semblait sans issue ou sans sens. L’humour en psychothérapie n’est pas une fantaisie de thérapeute, c’est un pont vers la guérison, une bouffée d’air frais dans l’univers parfois lourd de la souffrance psychique.
La distance devient libération
Imaginez une patiente qui me raconte, les larmes aux yeux, a quel point elle souffre de vérifier parfois dix, quinze fois toutes ses portes fermées avant de quitter le domicile. Après quelques séances de thérapie, nous en arrivons à évoquer ensemble une tâche concernant ses compulsions. Ayant vérifié que la personne répondait bien à l’humour, je lui annonce, d’un air taquin, qu’il est temps de révolutionner ses TOC. Qu’il est temps de faire place au faste, à la cérémonie. Que quitte à y passer une heure chaque jour, autant rendre ca grandiose! Je l’ai donc guidé à travers un choix de costume, de musique répétant avec elle toute une cérémonie pour faire une seule fois la vérification des portes, mais en le faisant avec classe et kitch. Elle était morte de rire d’un bout à l’autre. Vous devinez ce que le symptôme est rapidement devenu.
C’est exactement cela, l’humour thérapeutique : c’est créer un espace, une respiration entre nous et nos difficultés. Comme si nous montions sur une colline pour observer notre vallée de souffrance avec une perspective nouvelle. Ce recul, ce décalage, c’est souvent le premier pas vers la transformation.
L’art délicat du timing
En tant que psychologue clinicien, j’ai appris que l’humour ne s’impose jamais ; il se propose délicatement. Il faut sentir ce moment précis où la personne est prête à voir sa situation sous un angle différent, où elle peut supporter cette légèreté sans se sentir incomprise ou minimisée.
Je me souviens de cet adolescent confronté à la justice qui avait mal retenu le nom de la Procureure du roi. Il l’appelait « la Bouledogue du roi », car il s’était fait bien attraper en audience. Cette métaphore spontanée nous a menés vers des fous rires partagés, mais aussi vers une compréhension plus fine de la dynamique familiale et judiciaire dans laquelle il était. L’humour avait créé un espace sécure où nous pouvions explorer ensemble ses sentiments sans que cela soit vécu comme une trahison envers son parent.
Quand le rire révèle l’absurdité de nos souffrances
L’humour possède cette capacité extraordinaire de révéler l’aspect parfois absurde de certaines de nos souffrances. Non pas pour les ridiculiser, mais pour nous permettre de les voir autrement. C’est comme si nous changions de lunettes : ce qui nous semblait énorme et insurmontable prend soudain des proportions plus humaines, plus gérables.
Un patient me confiait un jour qu’il passait des heures à anticiper des conversations difficiles, répétant mentalement des répliques cinglantes, et vivant en boucle des images difficiles. « Je suis devenu un scénariste de films catastrophe dans ma propre tête », a-t-il fini par dire. Je lui demandais donc d’ajouter alors certains personnages, afin de changer un peu cette dynamique. Cela fut différent d’entendre Donald Duck lui crier qu’il était nul, et d’imaginer les Telettubies qui assistaient en applaudissant à sa débâcle dans sa situation. Cette prise de conscience lui a permis de réaliser à quel point il s’épuisait dans des batailles imaginaires, et l’impact que ses films avaient sur lui.
Dans la thérapie familiale
Lors des séances familiales, l’humour devient souvent ce qui permet de désamorcer les tensions et de révéler les patterns relationnels avec douceur. J’ai vu des familles entières éclater de rire en reconnaissant leurs « rôles » respectifs : « Ah, moi je suis le pompier de service ! », « Et moi l’allumeur d’incendies ! » Ces moments de reconnaissance mutuelle, teintés d’humour et donc de distance par rapport au conflit de l’instant, créent une intimité nouvelle et permettent parfois d’aborder les changements nécessaires sans culpabilité ni reproches.
Dans l’approche humaniste
L’humour s’épanouit aussi dans une relation thérapeutique centrée sur la personne. Il devient l’expression de l’authenticité du thérapeute et renforce cette atmosphère d’acceptation inconditionnelle si chère aux humanistes. Quand nous rions ensemble de nos propres contradictions humaines, nous créons un espace de compréhension mutuelle.
La transformation par le décalage
Ce que l’humour offre de plus précieux en psychothérapie, c’est cette capacité à créer du décalage. Soudain, nous ne sommes plus collés à notre problème ; nous pouvons le regarder de biais, avec un sourire en coin. Cette distance permet souvent l’émergence de solutions créatives, d’angles d’approche inattendus, ou nous donnant une énergie nouvelle pour observer ce qui se passe.
En hypnose, par exemple, il n’est pas rare que la personne vive des moments inattendus, loufoques, et se demande sur le coup ce que voulait dire son inconscient en communiquant telle ou telle chose. Cela fait partie du processus, et la graine plantée dans l’esprit fera son chemin, parfois plusieurs semaines ou plusieurs mois.
Les limites à respecter avec bienveillance
L’utilisation de l’humour en thérapie demande une sensibilité extrême. Il faut savoir reconnaître quand une personne n’est pas prête, quand sa douleur est trop vive pour supporter cette légèreté. Certains moments de la vie, certaines souffrances, appellent d’abord l’accueil inconditionnel et la validation émotionnelle avant toute tentative d’allègement.
Dans le suivi thérapeutique, j’ai appris à distinguer l’humour qui libère de celui qui pourrait blesser. Le premier naît de la complicité et de la compréhension mutuelle ; le second risque d’être perçu comme une forme de minimisation ou de rejet de la souffrance, ce qui est à éviter.
L’humour comme révélateur de ressources
Ce qui me touche le plus dans l’utilisation de l’humour en thérapie, c’est sa capacité à révéler les ressources cachées des personnes. Quand quelqu’un peut rire de sa situation, même peu de temps, il démontre une force, une capacité de recul qui était peut-être enfouie sous la souffrance. Ce rire devient alors un indicateur de bien-être psychologique et de résilience.
J’ai vu régulièrement des personnes découvrir leur propre sagesse à travers l’humour, développer une forme d’auto compassion teintée de légèreté qui transformait radicalement leur rapport à elles-mêmes. « Je commence à comprendre cette partie de moi qui s’inquiète tout le temps », me disait une patiente. « Elle fait de son mieux, la pauvre ! »
Une philosophie de la légèreté
Au fond, faire l’effort d’intégrer l’humour en psychothérapie, c’est adopter une philosophie thérapeutique qui croit en la capacité humaine à transcender la souffrance, à la transformer en quelque chose de plus vivant, de plus créatif et personnel. C’est reconnaître que même dans les moments les plus sombres, une étincelle de légèreté peut jaillir et illuminer un chemin vers la guérison.
Cette approche ne remplace pas le travail en profondeur, l’exploration des blessures, la compréhension des mécanismes psychiques, des dynamiques personnelles ou familiales. Elle l’enrichit, l’humanise, lui donne cette dimension de joie de vivre qui fait que la thérapie n’est pas seulement un processus de guérison, mais aussi un processus fondamentalement humain..
Conclusion : l’humour comme compagnie vers la Guérison
L’humour en thérapie n’est pas une technique que l’on applique mécaniquement. Même si j’ai pu en entendre parler de ci de là en classe, et en lire des références dans les publications scientifiques et théoriques, je n’ai pas appris cela sur les bancs de l’école. C’est, personnellement, plutôt quelque chose de personnel, que j’ai fait germer sur les planches au théâtre, en impro, en déclamation. Mais j’en retire un art relationnel qui naît de la rencontre authentique entre deux êtres humains. Il nous rappelle que derrière chaque souffrance se cache une personne entière, capable de créativité, de légèreté et de transformation.
Dans mon expérience, j’ai constaté que les moments d’humour partagé marquent souvent les tournants thérapeutiques les plus significatifs. Ils signent cette réconciliation avec soi-même, cette capacité retrouvée à porter un regard bienveillant sur ses propres contradictions et difficultés.
Au final, apprendre à rire de nos souffrances avec tendresse, c’est peut-être cela, grandir : développer cette sagesse qui nous permet de naviguer dans la complexité de l’existence humaine avec un sourire complice, celui de quelqu’un qui a compris que l’imperfection et la vulnérabilité sont les attributs de notre humanité.
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