Giorgio Nardone et les thérapies stratégiques 

La plupart des patients croient qu’ils doivent d’abord comprendre leurs problèmes pour ensuite modifier leurs comportements. Pourtant, selon Giorgio Nardone – psychologue, chercheur et figure majeure de l’école de Palo Alto – cette logique mène souvent dans une impasse. « Les patients pensent trop », affirme-t-il. Son approche, la thérapie brève et stratégique, propose une autre voie : transformer d’abord la perception et l’expérience émotionnelle du patient, afin que les pensées suivent naturellement.

Quand la solution devient le problème

Nardone reprend une idée célèbre de Paul Watzlawick, maître de la communication et fondateur du Mental Research Institute (MRI) : « Le problème, c’est la solution ». Autrement dit, ce qui entretient la souffrance psychologique, ce n’est pas tant le trouble en lui-même que la manière dont la personne tente d’y répondre.

Prenons l’exemple de l’attaque de panique : plus le patient essaie de contrôler sa peur par la pensée rationnelle, plus l’amygdale – zone cérébrale archaïque impliquée dans la peur – s’emballe. Résultat : le cercle vicieux se renforce. La tentative de solution (réfléchir, se rassurer) alimente paradoxalement le problème.

Les thérapies stratégiques visent donc à interrompre ces boucles dysfonctionnelles par des techniques spécifiques, souvent paradoxales, qui amènent le patient à faire l’expérience d’un changement de perception.

L’influence de Palo Alto et du MRI

Le parcours de Giorgio Nardone est intimement lié à l’école de Palo Alto. Philosophe de formation, il rejoint le MRI dans les années 1980 pour étudier l’épistémologie des psychothérapies. Il y rencontre des figures comme Paul Watzlawick, John Weakland ou Virginia Satir.

Séduit par l’efficacité pratique de leurs interventions, il abandonne la théorie pure pour se consacrer à la clinique. Avec l’appui de ses mentors, il développe rapidement des protocoles de thérapie brève adaptés à différents troubles, notamment les phobies et les obsessions.

Son travail s’inscrit donc dans la lignée de Palo Alto, mais il l’a enrichi en construisant des méthodes codifiées destinées à être testées et reproduites, notamment au Centre de Thérapie Stratégique d’Arezzo qu’il a fondé en Italie.

Le modèle classique versus le modèle stratégique

La plupart des approches thérapeutiques partent du schéma suivant :

  1. Prendre conscience du problème.

  2. Comprendre son origine.

  3. Modifier progressivement ses comportements.

Pour Nardone, ce modèle est inefficace dans de nombreux cas, car il mise trop sur la rationalité consciente du patient. Sa proposition inverse l’ordre :

  1. Changer la perception et l’émotion.

  2. Transformer le comportement.

  3. Constater ensuite que les pensées se sont modifiées.

Ce renversement est particulièrement adapté aux troubles où la rationalisation échoue : attaques de panique, phobies, TOC, comportements impulsifs, troubles obsessionnels, etc.

Des techniques stratégiques et paradoxales

Les interventions stratégiques ne consistent pas à donner des explications mais à proposer des expériences correctrices. Le thérapeute formule des prescriptions qui obligent le patient à voir son problème autrement et à rompre ses habitudes dysfonctionnelles.

Parmi les outils utilisés :

  • Prescriptions paradoxales : demander au patient d’amplifier volontairement son symptôme pour en désamorcer la force.

  • Questions stratégiques : orientées non vers le « pourquoi » mais vers le « comment », elles déplacent la perspective.

  • Rituels thérapeutiques : mises en scène qui restructurent la perception du problème.

Ces techniques visent à produire rapidement une expérience émotionnelle nouvelle. C’est ce choc perceptif qui enclenche le processus de changement.

Des protocoles spécifiques validés

Au fil de vingt-cinq ans de pratique et de recherche, Giorgio Nardone et son équipe ont mis au point des protocoles ciblés pour différents troubles : phobies, troubles alimentaires, obsessions, conduites addictives… Chaque protocole propose une séquence d’interventions adaptées à la dynamique du problème.

Selon Nardone, ces protocoles permettent d’obtenir des résultats plus rapides et plus efficaces que les approches classiques. Les études publiées par son centre indiquent des taux élevés de succès en un nombre limité de séances, ce qui a contribué à la reconnaissance internationale de la thérapie brève stratégique.

Une approche pragmatique et centrée sur le changement

La force de la méthode de Nardone réside dans sa pragmatisation de la théorie. Inspiré par Palo Alto, il a su transformer des principes systémiques et communicationnels en outils concrets utilisables en cabinet.

Pour les patients, l’avantage est double :

  • ils ne sont pas condamnés à des années d’analyse ;

  • ils vivent rapidement une expérience de changement tangible, qui brise le cercle vicieux de leurs symptômes.

Pour les thérapeutes, cette approche rappelle une règle essentielle : ce qui compte, ce n’est pas d’avoir raison sur le plan théorique, mais de proposer des interventions qui fonctionnent réellement dans la pratique.

Conclusion : penser moins, expérimenter plus

L’enseignement de Giorgio Nardone peut se résumer simplement : penser ne suffit pas à guérir. Trop de réflexion entretient le problème au lieu de le résoudre. La thérapie stratégique invite au contraire à agir différemment pour percevoir autrement, et à laisser la compréhension venir ensuite, comme une conséquence naturelle du changement.

Dans un monde où l’on valorise sans cesse l’analyse et l’intellectualisation, cette approche rappelle une vérité souvent oubliée : c’est dans l’expérience vécue que se loge la transformation.

Qu’est-ce que la thérapie brève stratégique ?

La thérapie brève stratégique est une approche psychothérapeutique développée à partir des travaux du Mental Research Institute (MRI) de Palo Alto, puis approfondie par Giorgio Nardone en Italie.
Elle vise à résoudre rapidement des problèmes psychologiques concrets en agissant sur la perception et les comportements du patient plutôt que sur une compréhension intellectuelle de leurs causes.
Le principe fondamental : changer d’abord la manière de percevoir et d’agir, la compréhension viendra ensuite.

À qui s’adresse la thérapie brève stratégique ?

La TBS s’adresse à toute personne souhaitant sortir d’un problème précis sans nécessairement entreprendre une démarche analytique longue.
Elle convient aux adultes, adolescents et parfois enfants (selon les protocoles), ainsi qu’aux couples ou familles.
Elle est particulièrement adaptée à ceux qui se sentent bloqués dans un cercle vicieux, répètent sans succès les mêmes tentatives de solution ou veulent des résultats concrets et mesurables.

Quels types de problèmes peut-on traiter avec la TBS ?

La thérapie brève stratégique a démontré son efficacité dans de nombreux domaines, notamment :

  • Troubles anxieux : phobies, attaques de panique, anxiété généralisée.

  • Troubles obsessionnels et compulsifs (TOC).

  • Troubles alimentaires : boulimie, anorexie, hyperphagie.

  • Troubles de la communication ou du comportement : impulsivité, colère, inhibition.

  • Troubles de la relation : conflits familiaux, de couple ou professionnels.

  • Problèmes de performance : peur de l’échec, stress au travail, blocages scolaires ou artistiques.

  • Comportements d’évitement ou d’addiction.

Les protocoles stratégiques ont été conçus pour chaque type de trouble, selon une méthodologie rigoureuse issue de plus de 25 ans de recherche clinique.

Quelle est la durée d’une thérapie brève stratégique ?

Comme son nom l’indique, la TBS est limitée dans le temps.
En moyenne, une thérapie dure entre 5 et 15 séances, selon la complexité du problème et la réceptivité du patient.
Chaque séance dure environ 45 à 60 minutes et se concentre sur un objectif précis, avec des tâches concrètes à réaliser entre les rendez-vous.
Le but n’est pas de « parler indéfiniment du passé », mais de provoquer un changement observable dans le présent.

En quoi la TBS diffère-t-elle des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ?

Les TCC partent du principe qu’il faut identifier et modifier les pensées dysfonctionnelles pour transformer les émotions et les comportements.
La TBS, au contraire, considère que le changement cognitif est une conséquence, et non une cause du changement comportemental.
Elle cherche d’abord à modifier la perception du problème à travers des expériences concrètes, souvent paradoxales, qui amènent le patient à se comporter différemment et à ressentir autrement.

Qu’est-ce qu’une « prescription paradoxale » ?

La prescription paradoxale consiste à demander au patient de faire volontairement ce qu’il redoute ou ce qu’il tente d’éviter.
Par exemple, une personne souffrant d’insomnie pourra recevoir la consigne de « s’efforcer de ne pas dormir » – ce qui désamorce le contrôle anxieux qui empêche justement le sommeil.
Ce type de stratégie vise à désactiver les tentatives de solution inefficaces et à créer une expérience émotionnelle correctrice.

La thérapie brève stratégique est-elle scientifique ?

Oui.
Giorgio Nardone et son équipe du Centre de Thérapie Stratégique d’Arezzo ont développé et validé, sur plusieurs décennies, des protocoles structurés pour divers troubles psychologiques.
Ces protocoles ont été évalués empiriquement, avec des taux de réussite supérieurs à 80 % dans certains cas.
La TBS est aujourd’hui reconnue internationalement comme une approche efficace, pragmatique et orientée vers les résultats.

Quelle est la place du thérapeute dans la TBS ?

Le thérapeute stratégique n’est pas un simple observateur ou un interprète du discours.
Il agit comme un stratège du changement, guidant activement le patient à travers des expériences planifiées.
Son rôle est de formuler les bonnes questions et les bonnes tâches, celles qui vont court-circuiter le système problématique et amener la personne à trouver de nouvelles solutions par elle-même.

Faut-il croire à la méthode pour qu’elle fonctionne ?

Pas nécessairement.
La TBS repose sur des expériences de changement perceptif, et non sur la persuasion ou la croyance.
Même les patients sceptiques peuvent constater, au fil des séances, que leurs réactions émotionnelles et comportementales se transforment.
C’est souvent ce constat empirique – plutôt que la compréhension intellectuelle – qui consolide le changement.

Quels sont les avantages de la thérapie brève stratégique ?
  • Efficacité rapide sur les problèmes ciblés.

  • Approche pragmatique et concrète, centrée sur le résultat.

  • Adaptabilité à de nombreux troubles psychologiques.

  • Expérience de changement réelle, plus qu’une simple prise de conscience.

  • Durée courte et coût maîtrisé comparé à d’autres thérapies longues.